[Paroles d’Agris] À la croisée des transitions, l’agrivoltaïsme en soutien d’une ferme en mutation

À Châtel-Gérard (89), Hugues Trameau réinvente son modèle agricole. Une reconversion radicale, menée avec méthode, où l’agrivoltaïsme s’invite en levier d’adaptation. Témoignage.

En 2018, l’exploitation de Hugues Trameau arrive à un tournant. Céréalier conventionnel, il doit faire face à une baisse de rendement continue, à l’effondrement des cultures pivots comme le colza, et à une exposition croissante aux aléas climatiques. « En quinze ans, on a perdu plus d’une tonne à l’hectare. Notre système ne tenait plus », confie-t-il. La décision est radicale : changer de cap. Et vite.

L’exploitation bascule alors en bio, développe une production de luzerne et introduit un troupeau de 600 brebis, ainsi qu’un petit atelier d’engraissement à l’herbe. Une transition profonde, d’autant plus remarquable qu’aucun des associés n’était éleveur à l’origine.

Quand l’ombre devient ressource

C’est dans ce contexte que germe l’idée d’un projet agrivoltaïque.
À l’origine, rien de planifié. « Un parc photovoltaïque s’est monté près de chez nous. On nous promettait des moutons sous les panneaux, mais ils ne sont jamais venus. Ça m’a marqué. Je me suis dit : si un jour j’ai des panneaux, ce sera pour accompagner un vrai projet agricole, pas juste faire joli. »

Le premier contact formel intervient en 2016, avec ABO Wind, aujourd’hui ABO Energy. Le développeur prospecte pour un projet éolien.

L’agriculteur y voit une opportunité : mutualiser les raccordements, proposer des panneaux sur ses parcelles… et des brebis dessous. L’idée fait son chemin. En parallèle, le troupeau se constitue, sans attendre la concrétisation du projet solaire. « Je ne comptais pas dessus. Le projet devait venir en soutien, pas en moteur. »

L’agrivoltaïsme comme outil d’adaptation

Aujourd’hui, le projet est bien avancé : il ne reste plus qu’à valider le raccordement.
Mais plus qu’un revenu complémentaire, Hugues Trameau y voit un outil d’adaptation. « L’intérêt principal, c’est l’ombre en été. Avec la mécanisation, on a supprimé les arbres, les haies… Résultat : les moutons sont en plein soleil, sans aucune protection. »

En recréant des zones d’ombre structurées, les panneaux permettent de réduire le stress thermique, notamment lors des fortes chaleurs ou pendant l’agnelage. Une réponse concrète à des problématiques très actuelles, sur des fermes où les arbres ont disparu.

Un projet agricole, avant tout

Le message de l’agriculteur est clair : l’agrivoltaïsme ne doit pas dicter la forme de la ferme, mais s’y adapter.
« C’est le projet agricole qui décide. Pas l’inverse. Certains sont prêts à tout accepter dès qu’un développeur arrive. Mais si on veut que ça fonctionne – techniquement, légalement, humainement – il faut d’abord que l’activité agricole soit solide. C’est elle qui légitime le reste. »

Et de prévenir : la route est longue. « Il faut être passionné. Si on croit que ça sortira en trois ou cinq ans, on se plante. » Entre revirements réglementaires, contraintes locales et délais techniques, la patience est une condition de réussite. Mais elle ne doit pas éteindre l’élan.

Face aux incertitudes réglementaires, à la lenteur des décisions, il reconnaît que « beaucoup d’agriculteurs vont finir par se lasser ». Pourtant, sur son exploitation, le projet agrivoltaïque fait sens : il prolonge une dynamique de diversification entamée bien avant les premiers contacts, et répond à un besoin réel du terrain.

Loin d’un simple projet énergétique, c’est une brique de plus dans un modèle agricole repensé, plus sobre, plus vivant, plus résilient.