Sylvie Daguet, agricultrice en Eure-et-Loir, a intégré l’agrivoltaïsme dans une démarche de diversification mûrement pensée, guidée par une histoire familiale ancrée et un désir d’innovation respectueux de ses racines. Son parcours montre qu’agriculture et production d’énergie peuvent coexister harmonieusement, dans le respect du territoire et des valeurs paysannes.
Une histoire familiale ancrée dans le territoire
Notre exploitation agricole est une aventure familiale, enracinée dans la terre et les générations. Mon mari en a repris les rênes en 1997, perpétuant l’histoire de la ferme. Pour ma part, j’y suis revenue en 2009, après une carrière à l’extérieur. Un retour motivé par des raisons de santé, mais aussi par le besoin de retrouver un équilibre entre vie professionnelle et familiale.

Nous exploitons aujourd’hui environ 272 hectares en grande culture (blé, orge, colza, pois). Cette surface s’est agrandie au fil du temps grâce à la reprise progressive de terres familiales. Une évolution constante, mais toujours guidée par une volonté : faire vivre l’exploitation tout en l’adaptant aux enjeux de notre époque.
L’agrivoltaïsme : une idée ancienne devenue projet d’avenir
Depuis plusieurs années, je m’intéresse à la diversification. Innover, tester, sortir des sentiers battus, cela a toujours fait partie de ma démarche. L’agrivoltaïsme m’a interpellée dès que j’ai découvert les premiers projets en Bourgogne. Mais à l’époque, le contexte local ne s’y prêtait pas : trop d’oppositions, peu d’ouverture. J’ai mis cette idée de côté… jusqu’à ce qu’un long arrêt maladie me permette de prendre du recul.
Ce moment d’introspection a ravivé ce projet. Il est devenu une évidence, presque une nécessité : une opportunité personnelle de rebondir, et une manière concrète de faire évoluer notre ferme vers un modèle plus durable. C’est dans cette dynamique que j’ai suivi les formations « Farmher » puis « Tremplin » sur le Campus d’Hectar (Levis-Sain Nom), qui m’ont permis de structurer une idée claire, solide et surtout réaliste.
Notre objectif ? Construire une diversification durable, répondre aux enjeux climatiques, moderniser nos pratiques et créer un lieu d’apprentissage vivant et ouvert sur l’extérieur.
Une rencontre humaine et une co-construction respectueuse
Quand l’occasion s’est présentée à nouveau, j’ai repris contact avec plusieurs développeurs agrivoltaïques. Mon exigence était simple : trouver un partenaire capable de s’inscrire dans une démarche de co-construction, respectueuse de notre réalité agricole et de notre vision long terme.
Le développeur avec qui nous collaborons aujourd’hui s’est démarqué par son écoute et sa volonté de bâtir un véritable partenariat. Nous avons rapidement réalisé que nous partagions des valeurs communes : produire une énergie renouvelable, certes, mais sans renier la vocation première de notre terre.
Le projet n’a pas été imposé. Il a été pensé avec nous, sur une feuille blanche. Ce changement d’approche a tout transformé. Nous avons pu définir nos propres règles : maintien de la production agricole, autonomie totale sur les pratiques culturales, absence de désappropriation, et même la création d’un espace expérimental et pédagogique sur la parcelle.
Des freins locaux et politiques : une frustration palpable
Malgré la cohérence du projet et le sérieux de nos partenaires, nous nous sommes heurtés à certaines résistances au niveau local. Si plusieurs acteurs ont accueilli favorablement notre démarche, d’autres se sont montrés plus méfiants, voire franchement réticents. Une méfiance, parfois teintée de crispation, envers l’agrivoltaïsme – perçu à tort, par certains, comme une menace plutôt qu’une opportunité.
Nous avons multiplié les démarches pour expliquer notre vision, pour montrer qu’il ne s’agissait ni d’un projet spéculatif, ni d’un caprice technologique, mais bien d’un projet familial, réfléchi, ancré dans notre territoire.
Ce que nous remettons en cause, ce n’est pas le débat en lui-même – il est légitime et nécessaire – mais le manque de dialogue, d’écoute, de curiosité. L’agrivoltaïsme ne doit pas être jugé à travers des clichés. Il mérite d’être étudié avec rigueur et ouverture.
Un projet de transmission, d’innovation et de pédagogie
Au-delà de l’aspect économique, notre projet s’inscrit dans une logique de transition. Nous voulons continuer à produire, mais autrement. Tenir compte du climat, des technologies, des attentes sociétales.
Notre rêve ? Transformer cette parcelle en laboratoire vivant. Un lieu d’expérimentation et de formation. Où des jeunes, des étudiants, des futurs agriculteurs viendront apprendre, comprendre, interagir. Où l’agriculture et l’énergie dialoguent et s’enrichissent mutuellement.
L’agrivoltaïsme n’est pas une finalité. C’est un levier. Un outil pour repenser nos pratiques, ouvrir notre ferme, la projeter dans l’avenir tout en restant fidèle à son identité.
Des conseils pour celles et ceux qui veulent se lancer
À ceux qui souhaitent se lancer, je dirais ceci : soyez acteurs de votre projet. Ne le subissez pas. Allez chercher l’information, contactez les développeurs vous-mêmes, prenez les devants. C’est la seule manière de garder la main et d’en faire un projet à votre image.
Il faut aussi que le projet ait du sens. Qu’il reste au service de la terre, de l’exploitation, du territoire. Ne pas le vivre comme une charge ou une usine à gaz, mais comme un véritable plus. Et cela demande du temps, de l’énergie, de l’engagement.
Entourez-vous. Formez-vous. Parlez avec d’autres porteurs de projets. Faites appel à des structures comme la FFPA. Et surtout, ne négligez pas les aspects juridiques, encore flous aujourd’hui.
Enfin, n’oubliez jamais que chaque projet est unique. Il n’y a pas de modèle préfabriqué. Ce qui a fonctionné pour nous ne conviendra pas forcément à d’autres. Mais s’il y a bien un point commun, c’est que rien ne se fera sans implication.
L’agrivoltaïsme est une aventure humaine, agricole et territoriale. Et si elle est bien menée, elle peut devenir un formidable outil de résilience, de pédagogie et de transmission.